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Le Yémen asphyxié

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Le Yémen asphyxié

Article ID:

12975

Un millier de kilomètres séparent Sanaa, la capitale du Yémen, de Riad, la capitale de l’Arabie Saoudite qui doit ses richesses au pétrole. Mais au point de vue économique, ces deux pays sont deux mondes bien à part. Alors que le pétrodollar a fait de l’Arabie Saoudite l’un des pays les plus riches au monde, son voisin méridional a vu ses ressources s’effriter en raison de conflits internes et de la corruption.

Les journaux yéménites ont peine à rapporter cette dure réalité en raison des restrictions imposées par le régime du président Ali Abdullah Saleh aux médias. Il n’existe qu’une poignée de journaux indépendants au Yémen et aucune station de télévision indépendante. Le gouvernement et les principaux partis d’opposition, dont les journaux dominent le marché avec une couverture très partiale de la situation politique, contrôlent les centres d’impression et les réseaux de distribution. Les journalistes indépendants ont du mal à survivre, principalement en raison du manque permanent d’investissements et de la politique de discrimination publicitaire envers la presse libre.

« Le président Saleh a déclaré un jour que le Yémen est un pays très dangereux et difficile et que le gouverner revenait à danser sur la tête d’un serpent. Moi, je peux vous assurer qu’être un journaliste au Yémen, cela revient aussi à danser sur la tête d’un serpent. L’autocensure est omniprésente : nous ne pouvons pas parler du président, nous ne pouvons pas parler des chefs de l’opposition, etc. Nous nous consultons entre collègues et écrivons de façon ambiguë. »

Ce genre de réflexion, rapportée par un journaliste de Sanaa, a été entendue à de maintes reprises par la délégation internationale dirigée par la WAN-IFRA qui a visité le Yémen

l’année dernière. Avec des experts de la Fédération internationale des journalistes, International Media Support et Article 19, la WAN-IFRA a rencontré des professionnels des médias de tous bords – du gouvernement, de l’opposition ainsi que des journalistes indépendants – qui ont exprimé leur frustration grandissante vis-à-vis des restrictions gouvernementales concernant la couverture de faits importants.

Le Yémen est souvent considéré par le reste du monde comme le refuge du groupe terroriste Al-Qaida dans la péninsule arabe. Quelques jours avant la mission de la WAN-IFRA, le pays avait fait la Une des journaux en raison des colis piégés fabriqués et envoyés de Sanaa qui avaient été découverts à bord d’avions de fret américains. Le président Saleh a réussi à ce que l’attention du monde entier se porte sur cette menace terroriste et pas sur les nombreux autres problèmes qui menacent ce pays.

Le Yémen est déchiré par les rébellions au nord et par le mécontentement croissant des populations du sud qui se sentent marginalisées économiquement et socialement. L’État doit également prendre en compte le système tribal traditionnel qui le force à négocier perpétuellement pour assurer le contrôle national. On estime d’une manière générale que le président Saleh paie régulièrement les chefs de tribu afin qu’ils se tiennent tranquilles, ce qui grève encore plus les ressources limitées du pays et menace la stabilité future du régime, de ses institutions et du pays en général.

Et sur la toile de fond que sont ces luttes de pouvoir se greffent des problèmes sociaux qui paralysent le pays : 35 % de chômage et 45 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Les ressources de pétrole s’amenuisent et, bien plus alarmant, les réserves d’eau également, à moins que des solutions ne soient mises en place pour protéger de la sécheresse les 1,9 million d’habitants de la capitale. Le qat – cette plante que mâchent, selon les estimations, 90 % de la population mâle et dont les effets sont semblables à ceux de l’amphétamine – est cultivé sur un grand pourcentage des terres arables. Sa culture nécessite plus de 30 % des réserves d’eau du pays et a d’énormes répercussions sur la santé publique.

La presse yéménite est impuissante et ne parvient pas à briser régulièrement le silence autour de ces problèmes cruciaux. Le recours aux mécanismes extrajudiciaires est à l’ordre du jour lorsqu’il s’agit de faire taire les éléments indésirables au sein des médias. Ces mécanismes constituent une sorte de système parallèle qui légalise les actes d’intimidation et de harcèlement à l’encontre des journalistes considérés comme trop critiques vis-à-vis du régime. Le système criminalise trop souvent les reporters et les dissuade de se lancer dans le journalisme d’investigation.

Le Yémen ressent aussi les répercussions de la révolution tunisienne de début janvier. Des milliers de manifestants sont descendus dans les rues et ont réclamé le départ du président Saleh. Alors que tous les gouvernements de la région arabe s’adaptent à la nouvelle réalité politique créée par cette vague de colère publique, il est à espérer qu’une plus grande liberté et une meilleure représentation politique voient le jour. Plus d’un journaliste yéménite espère un miracle et pas seulement une révolution, bien que leur expérience leur ait bien sûr appris à être prudents.

Auteur

Andrew Heslop's picture

Andrew Heslop

Date

2011-03-11 11:27

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